Climat : mettre en place le système des quotas individuels négociables.

La lutte contre le réchauffement climatique est au cœur de la réinvention de l’économie.

Notre modèle économique, fondé sur l’illusion de ressources infinies, confiant en l’efficacité universelle du marché, est incompatible avec la finitude de la biosphère et la préservation de nos biens communs. Faute de remettre en cause ces fondements, la lutte contre le changement climatique s’est révélée inopérante depuis plus de trente ans en multipliant les engagements à un horizon suffisamment lointain pour que personne ne soit responsable ni de leur timidité ni de leur respect.

Trente ans, qu’on proclame l’urgence d’agir pour limiter le réchauffement climatique tout en procrastinant, en reportant au lendemain les transformations radicales qu’impose la situation. « Demain on agit pour le climat » a remplacé le proverbial « demain on rase gratis ». Et, dans un bel élan d’irresponsabilité collective on se fixe des objectifs à dix, vingt ou trente ans dont l’échec assuré ne sera, à cette échéance lointaine, imputable à personne : belle illustration de sociétés à irresponsabilité illimitée.

Trente ans aussi  que l’on multiplie les stratégies sectorielles, les « obligations de moyens » qui, quand ils sont mis en œuvre effectivement se révèlent incapables de produire la réduction nécessaire des gaz à effet de serre. Ça suffit. Il faut prendre au mot les engagements nationaux et internationaux ; ils impliquent une réduction d’environ 6 % par an de notre empreinte écologique totale et ce pendant plusieurs décennies : une « obligation de résultat » de portée immédiate, un résultat mesurable, dont le non-respect puisse permettre de condamner lourdement les dirigeants qui, en revendiquant la magistrature suprême, en ont endossé la responsabilité.


Les Assises du climat tenues entre février et avril 2021  ont identifié les quatre critères  à l’aune desquels évaluer la pertinence d’une politique de lutte contre le réchauffement climatique :

- la prise en compte de notre empreinte écologique totale : plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre associés à notre mode de vie le sont hors du territoire français ; quant aux territoires, mêmes les grandes villes ne peuvent agir que sur vingt pour cent de cette empreinte ;

- l’assurance que le résultat sera atteint, ce qui revient à dire que nos émissions sont rationnées et que leur plafond s’abaisse de 6% par an, la question étant finalement de répartir ce rationnement entre tous les bénéficiaires finaux, c’est à dire les citoyens;

- la justice sociale, un partage équitable des efforts, la juste rétribution de ceux qui fournissent un effort particulier, faute de quoi les réels sacrifices que représente cette réduction annuelle seront politiquement insupportables ;

- la capacité à entraîner tous les acteurs publics et privés dans cet effort, et le meilleur moyen de le faire est que les acteurs privés et publics aient à imputer aux clients ou contribuables leur propre empreinte écologique.

On peut montrer qu’une seule politique satisfait à ces quatre critères : la fixation de quotas annuels alloués à chacun, quotas que peuvent en partie vendre ceux qui fournissent des efforts particuliers de frugalité ou d’innovation à destination (contrôlée) de ceux qui tentent de maintenir un mode de vie énergivore.

Ce système des quotas, dont le montant se réduira de 6 % par an, accélérera le mouvement de réorientation des investissements privés et publics. Dans les politiques actuelles cette réorientation se fait à coup d’obligations, d’interdictions et d’incitations publiques qui, à l’usage, se révèlent peu efficaces comme l’illustrent aussi bien le temps de retour extrêmement long des investissements en matière d’isolation des logements que les résistances à l’implantation d’éoliennes  qui reposent peu en France, au contraire de l’Allemagne, sur des dynamiques citoyennes.

À quelle échelle mettre en place cette politique des quotas individuels ? 

Le territoire est un espace privilégié de réflexion de toute la société sur la manière de parvenir à ce résultat de réduction de l’empreinte de 6 % par an car c’est à cette échelle que l’on peut repenser ensemble les modes de vie, les modes de production, et même organiser le premier niveau de marché des quotas. Mais instaurer  à l’échelle d’un territoire une telle politique, qui suppose la traçabilité des émissions de gaz à effet de serre tout au long des filières, n’a de sens qu'incitatif pour élargir, pas plus que des expérimentations purement locales : elle doivent montrer leur valeur pédagogique en familiarisant chacun à un « wikicarbone » mesurant l’empreinte écologique des biens et services.

L’instauration des quotas individuels est concevable à l’échelle de la France mais le niveau le plus naturel serait le niveau européen. L’Union européenne se veut leader mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique ; elle a adopté un Pacte vert. Ses objectifs sont ambitieux, malheureusement les moyens de mise en œuvre ne permettront pas d’atteindre ces objectifs. La Présidence française de l’Union européenne est l’occasion unique de proposer aux autres Etats membres les quatre critères de pertinence des politiques de lutte contre le réchauffement et les quotas qui en sont la conclusion logique.